Ratification de Lisbonne : l’avis du Conseil d’État est un secret... d’État

Publié le par J-MENECHAL


On savait déjà que le Conseil constitutionnel avait dû statuer, exceptionnellement, en une petite semaine seulement sur la conformité du traité de Lisbonne avec la Constitution française, en décembre 2007. Cette fois, c'est le rapport public 2009 du Conseil d’État qui révèle, page 54, que le projet de la loi n°2008-125 autorisant les parlementaires à défaire ce que le peuple avait fait le 29 mai 2005 n’aurait été soumis qu’à sa commission permanente, contrainte de statuer en 24 heures sur ce forfait. L'analyse de Jean-Yves Crevel.

 

 


Rappelons que cette consultation était bien indispensable. En effet, si le gouvernement peut ne tenir aucun compte de l’avis du Conseil d’État, la Constitution rend cette consultation obligatoire pour les projets de lois. Le gouvernement ne peut présenter au parlement que le texte qu’il a soumis au Conseil d’État ou la version du texte modifiée par le Conseil d’État, et en aucun cas une version élaborée après l’avis du Conseil d’État, et non soumise à lui. (Conseil constitutionnel, décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003)


Le rapport annuel du Conseil d’État nous apprend donc que le gouvernement a respecté la procédure a minima, en consultant en urgence l’échelon suprême de la juridiction administrative.


Voilà ce que dit le rapport :


"Plusieurs textes ont dû être examinés trop rapidement. Ainsi, le délai constaté entre l’enregistrement et l’examen en commission permanente du projet de loi autorisant la ratification parlementaire du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes a été limité à un jour, et celui relatif au projet de de loi de finances rectificative pour 2009, à 3 jours. (...)


Le Conseil d’État est souvent saisi de textes déclarés urgents par le Gouvernement. Ce type de saisine est légitime lorsque les circonstances justifient des délais d’examen très brefs et le Conseil d’État a toujours répondu à cette exigence malgré les très fortes contraintes d’organisations que celle-ci peut entrainer.


La saisine en urgence n’est en revanche pas justifiée lorsque l’importance et la complexité de la réforme envisagée nécessitent un examen approfondi ou lorsque l’urgence déclarée est démentie par le calendrier parlementaire ou par le rythme de la publication d’un texte au Journal officiel. L’usage de la procédure d’urgence est particulièrement inapproprié lorsque ces deux circonstances se cumulent."


CONSEIL D’ÉTAT - Rapport public 2009 - Page 54


Saisine illégitime...


La loi 2008-125 autorisant le Congrès à ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire était déjà illégitime en ce que les mandataires du peuple s’arrogeaient le droits d’aller contre la volonté claire de leur mandant. Elle est désormais entachée d’une importante irrégularité en ce que la saisine obligatoire de l’échelon suprême de la juridiction administrative n’était pas justifiée dans sa forme et déclarée "illégitime" par l’instance concernée.

... et avis classé "Confidentiel"


Le Conseil d’État publie sur son site pas moins de 60.000 décisions, avis et analyses.


S’il est légalement possible qu’un avis du Conseil sur un projet de loi du Gouvernement soit classé confidentiel (Article 6 de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978), il est intellectuellement et moralement choquant qu’un avis aussi important que celui-ci soit caché aux Français. Que contenait donc cet avis ? Voilà une question dont l’absence de réponse publique amène à conclure très logiquement que nous avons quitté l’état de droit, dès lors que l’avis des "juges en premier et dernier ressort des recours pour excès de pouvoir" est classé "Confidentiel" et honteusement caché au peuple qui perd à l’occasion sa souveraineté et la maitrise de son destin par une sinistre et irrégulière farce parlementaire.

Car il ne s’agit pas d’arguties de juristes tatillons ni d’ergotages intellectuels sur le respect du parallélisme des formes.

Ces irrégularités ne concernent pas n’importe quel texte. Avec le traité de Lisbonne, il s’agit de soumettre la France à des décisions contraire à ses intérêts vitaux dans tous les domaines (voir en annexe [2] la liste des domaines passant a la majorité qualifiée). En langage européiste on dit "élargir le domaine où les décisions sont prises à la majorité qualifiée pour que l’Europe fonctionne mieux". Cela ne veut apparemment rien dire de grave, mais il n’en n’est rien. Quand les intérêts de la France seront divergents des intérêts d’une majorité qualifiée des 27 États-membres, ce groupe de pays imposera sa politique, qu’elles qu’en soient les conséquences pour la France.

[2] Liste des domaines passant a la majorité qualifiée :

Bases juridiques existantes passant à la majorité qualifiée

En matière institutionnelle :

-  Présidences du Conseil - décision du Conseil européen, sans proposition de la Commission (art. 236 TFUE)

-  Modalités de contrôle de l’exercice de compétences exécutives de la Commission (actuelle décision comitologie) (art. 291 TFUE)

-  Cour de justice de l’Union européenne : création des tribunaux spécialisés (art. 257 TFUE) et modification du statut de la cour de justice (à l’exception de son titre I et de son régime linguistique) (art. 281 TFUE)

-  Banque centrale européenne : nomination du président et des membres du directoire - décision du Conseil européen, sur recommandation du Conseil, consultation du Parlement européen et du Conseil des gouverneurs (art. 282 TFUE) ; modification de certains aspects des statuts de la BCE et du SEBC (art. 129 §3 du TFUE)

En ce qui concerne les politiques :

-  Libre circulation des travailleurs, prestations sociales (art. 48 TFUE)

-  liberté d’établissement : accès aux activités non salariées (art. 53 TFUE)

-  Politique économique et monétaire : généralisation de la majorité qualifiée à la définition des mesures nécessaires à l’usage de l’euro (art. 136 TFUE)

-  Politique commune des transports : généralisation du vote à la majorité qualifiée en tenant compte des cas où l’application serait « susceptible d’affecter gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que l’exploitation des équipements de transport » (art. 91 TFUE)

-  Coopération administrative dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice - consultation du Parlement européen (art. 74 TFUE)

-  Immigration légale (art. 79 TFUE)

-  Coopération judiciaire en matière pénale (art. 82 TFUE)

-  Rapprochement des normes pénales, infractions et sanctions - avec procédure d’appel au Conseil européen (art. 83 TFUE)

-  Eurojust (art. 85 TFUE)

-  Coopération policière pour les aspects non opérationnels (échange d’informations, formation du personnel, équipes communes d’enquête) (art. 87 TUE)

-  Europol (art. 88 TFUE)

-  Culture (mesures d’encouragement) (art. 167 TFUE)

-  Politique étrangère : décisions fondées sur une décision du Conseil européen ou sur proposition du Haut représentant suite à une décision du Conseil européen, mise en oeuvre d’une décision précédente, nomination d’un représentant spécial, « sauf si un Etat membre a l’intention de s’y opposer pour des raisons de politique nationale vitales et qu’il expose » (art. 31 TUE)

-  Politique commerciale commune : généralisation du vote à la majorité qualifiée pour les accords internationaux, avec des restrictions pour les services culturels et audiovisuels et les services sociaux, d’éducation et de santé (article 207 TFUE)

Bases juridiques nouvelles à la majorité qualifiée

En matière institutionnelle :

-  Nomination du Président du Conseil européen (art. 15 TUE)

-  Nomination du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (art. 18 TUE)

-  Liste des formations du Conseil - décision du Conseil européen, sans proposition de la Commission (art. 236 TFUE)

-  Révision des règles relatives à la nature de la composition du Comité des régions et du Comité économique et social - décision du Conseil sur proposition de la Commission (art. 300 TFUE). La composition des organes consultatifs reste décidée à l’unanimité

-  Initiative citoyenne en vue de la proposition d’une loi européenne - procédure législative ordinaire (article 24 TFUE)

-  Mesures d’exécution du système des ressources propres - acte du Conseil, approbation du Parlement européen. Les dispositions mêmes du système de ressources propres (plafond, catégories) restent décidées à l’unanimité après consultation du Parlement européen

-  Accord de retrait d’un Etat membre (art. 218 TFUE) décision du Conseil sur proposition du négociateur de l’accord (en principe la Commission), après approbation du Parlement européen (art. 50 TUE)

Concernant les politiques :

-  Principes et conditions pour le fonctionnement des services d’intérêt économique général (art. 14 TFUE)

-  Propriété intellectuelle - procédure législative ordinaire pour la création de titres européens et la mise en place d’un régime d’autorisation et contrôle centralisé au niveau de l’UE ; le régime linguistique reste à l’unanimité après consultation du Parlement européen (art. 118 TFUE).

-  Positions communes et représentation unifiée sur la scène internationale de l’Eurozone - décision du Conseil, consultation de la BCE (art. 138 TFUE)

-  Politique spatiale - procédure législative ordinaire (art. 189 TFUE)

-  Energie (fonctionnement du marché, approvisionnement, efficacité, énergies renouvelables, interconnexion) - procédure législative ordinaire (art. 194 TFUE)

-  Mesures d’encouragement dans le domaine de la prévention du crime (art. 84 TFUE)

-  Création d’un mécanisme d’évaluation des mesures adoptées pour la mise en oeuvre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (art. 70 TFUE)

-  Mesures liées à la mise en place d’un « système intégré de gestion des frontières extérieures » (article 77 TFUE)

-  Mesures d’encouragement pour favoriser l’intégration des ressortissants de pays tiers en situation régulière (article 79 TFUE)

-  Santé publique : normes élevées de sécurité pour les médicaments et dispositifs d’usage médical ; Mesures d’encouragement visant la protection de la santé humaine, notamment lutte contre les grands fléaux transfrontières, le tabac et l’alcool (art. 168 TFUE)

-  Tourisme (article 195 TFUE)

-  Sport (article 165 TFUE)

-  Protection civile (article 196 TFUE)

-  Cooperation administrative (artile 197 TFUE)

-  Statut, siège et modalités de fonctionnement de l’agence européenne de défense et d’armements - décision du Conseil sans proposition de la Commission (article 45 TUE)

-  Établissement d’une coopération structurée permanente dans le domaine de la défense, admission ou suspension d’un Etat membre - décision du Conseil sans proposition de la Commission, consultation du Haut représentant (art. 46 TUE)

-  modalités de mise en oeuvre de la clause de solidarité, sauf lorsque celle-ci a des implications militaires (art. 222 TFUE)

-  Mise en place d’un « Fonds de lancement » pour le financement des missions de la politique de défense (article 41 TUE)

-  Aide humanitaire et création du Corps volontaire européen (article 214 TFUE)

-  Administration de l’UE (art. TFUE)

Publié dans National

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