France : mai 2005, juin 2009, même combat

Publié le par J-MENECHAL



Pour une large part des électeurs inscrits, l'abstention fait figure de véritable refus de vote. L'assemblée de Strasbourg n'a de "parlement" que le nom. La raison d'être d'un parlement est de représenter un peuple. Or il n'y a pas de peuple européen - c'est même la tare originelle qui rend le principe même de toute "construction européenne" illégitime. Ce n'est donc pas parce que les électeurs ont boycotté le vote que l'euro parlement est illégitime, mais bien l'inverse : c'est parce que ce dernier ne peut se prévaloir d'aucune légitimité politique que les urnes ont été délaissées. La cartographie du refus de vote est éloquente. Ville par ville, et même bureau par bureau, l'abstention de juin 2009 recoupe avec une étonnante précision le Non de mai 2005. L'idée européenne est la première victime du 7 juin.

 
Dimanche 7 juin, 12h. Le ministère français de l'intérieur publie les chiffres de participation à la mi-journée. "Un à deux points de plus qu'il y a cinq ans", annonce France-Info, avec un enthousiasme mal contenu. Sur toutes les stations, la nouvelle tourne en boucle. Un blogueur bien connu à Bruxelles (1) n'y tient plus et signe en urgence un article titré "l'abstention moins prononcée que prévue" (sic). Las, la journée s'avance, et "l'écart" par rapport à 2004 s'amenuise. La déception est audible. On n'ose imaginer ce qu'eussent été les cris de victoire si l'abstention avait reculé en comparaison des précédentes européennes, ne serait-ce que d’un cheveu….

 

Ce sera finalement deux points de plus, soit 59,4% (et même 61,1% si on inclut les votes blancs et nuls) contre 57,2% il y a cinq ans. Six Français sur dix ont choisi de ne pas se rendre à l'isoloir. La consternation prévaut sur les ondes. "A qui la faute?" se demande, dépité, France-Inter, trouvant tout naturel ce terme de "faute". Notamment aux médias, avance un journaliste qui se repend "de ne pas avoir assez parlé d'Europe pendant l'année", précisant qu'un quotidien autrichien, à l'inverse, tient chaque jour chronique sur Bruxelles. Remarquable exemple : les citoyens autrichiens sont de plus en plus remontés contre l’UE…..

 

Pour une large part des électeurs inscrits, l’abstention fait figure de véritable refus de vote.


Elle était pertinente et nécessaire. D'abord et avant tout pour une raison de principe : l'assemblée de Strasbourg n'a de "parlement" que le nom. La raison d'être d'un parlement est de représenter un peuple. Or il n'y a pas de peuple européen - c'est même la tare originelle qui rend le principe même de toute "construction européenne" illégitime. Ce n'est donc pas parce que les électeurs ont boycotté le vote que l'euro parlement est illégitime, mais bien l'inverse : c'est parce que ce dernier ne peut se prévaloir d'aucune légitimité politique (ce qui ne veut pas dire d'aucun pouvoir, hélas!) que les urnes ont été délaissées. Son élection au suffrage universel, depuis 1979, avait pour objectif de créer une illusion démocratique. L'échec est patent. Au point que l'ultra européiste Martin Schulz, président allemand sortant du groupe social-démocrate à Strasbourg, s'est laissé allé à concéder que la question de la légitimité de ces élections peut "éventuellement" se poser à l’avenir…

 

Cet échec est d'autant plus cinglant qu'il a eu lieu malgré (ou à cause de ?) l'obsédante campagne déployée pour racoler les citoyens. L'assemblée de Strasbourg, à elle seule, a dépensé 18 millions d'euros dans ce but. Dépité, un parlementaire d'Outre-Rhin a très sérieusement proposé d'instaurer une taxe de 50 euros pour chaque abstentionniste? Un délit de non-amour de l'Europe? Plus lucidement, le maire social-démocrate de Vienne a expliqué la désaffection en Autriche par le fait qu'aucun référendum n'y a été organisé depuis celui portant sur l'adhésion, en 1994.

Il s'est tout de même trouvé un valeureux commentateur pour saluer "l'Europe, grand vainqueur des élections en France". Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, propose pour cette thèse une implacable démonstration : à ses yeux, les "vainqueurs" du scrutin français sont les partis qui, en parlant d'Europe, "ne se sont pas trompés d'élection", et cite pêle-mêle Europe-Ecologie, l'UMP et le Front de gauche... Une analyse qui fait opportunément l’impasse sur l’abstention.

 

L'abstention de juin 2009 recoupe avec une étonnante précision le Non de mai 2005.


On peut discerner trois victimes du 7 juin. Tout d'abord, on l'a vu, l'idée européenne".
Ensuite, les partis "institutionnels", soutiens les plus traditionnels de celle-ci ; les déroutes du PS et du Modem ont été largement commentées, mais le score de l'UMP n'a, lui non plus, rien de glorieux : les listes "de la droite et du centre", qui ratissaient l'ensemble de la majorité présidentielle, recueillent les suffrages de moins de 11% des inscrits. On a connu victoire plus glorieuse. Avec 6,3% de ces derniers, les amis de Daniel Cohn-Bendit ont fait le plein, finalement modeste, des euro-enthousiastes.

 

Troisième victime : tous les "alter-européens". Si l'on ne peut faire l'amalgame entre des listes par ailleurs opposées, force est de constater que d'Olivier Besancenot (5% des exprimés) à Philippe de Villiers (4%), de Jean-Marie Le Pen (6,3)  à Jean-Luc Mélenchon associé au PCF (6%, soit à peine plus que ce dernier, seul, en 2004), il n'était question que de militer pour "une autre Europe". Mais les citoyens qui auraient souhaité exprimer la volonté de sortir de l'UE eussent été bien en mal de trouver le bulletin idoine, malgré l’abondance de choix

 

Enfin, la cartographie du refus de vote est éloquente. Ville par ville, et même bureau par bureau, l'abstention de juin 2009 recoupe avec une étonnante précision le Non de mai 2005. Pour ne prendre qu'un exemple dans un même département, les Hauts-de-Seine, 50% des habitants de Neuilly sont allés voter, contre 33% à Gennevilliers. Bref, même les très officiels politologues le notent : schématiquement, la bourgeoisie huppée ou "bobo" a fréquenté les isoloirs, les prolos ont fait un bras d’honneur.


Récemment, une des journalistes du Monde spécialisée dans les questions européennes rappelait que le Non au traité constitutionnel avait été un "coup de gourdin à la construction d'une maison commune". Le boycott de 2009 contribue à déstabiliser un peu plus les fondations de cette dernière. Pourtant, pendant sa campagne, le Dr Barnier-Coué, ancien et peut-être futur Commissaire européen, et ministre de l'Agriculture entre deux, n'hésitait pas à affirmer : "la crise crée une ambiance favorable à l’Europe".

 

On tremble pour lui : à quelle hauteur se serait hissée l’abstention par temps calme ?

 

Vanessa Ikonomoff

 


 

Publié dans National

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